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jeudi 11 mai 2017

Où l'on parle encore de faux-nez ! En 1910.

Dans son livre "Le Pays Wallon", Louis Delattre, en 1910, nous confirme dans un texte qu'à cette époque au moins il était dans les habitudes carnavalesques binchoises de porter des faux-nez ! Cela avait également été constaté dans la photo présentée dans le billet "La revue de la famille, 15 mars 1934".

Le faux-nez était, à côté du masque, du loup, du chapeau ou de la simple fripe colorée un accessoire permettant aux visiteurs d'éviter les attaques en règle des porteurs de vessies. Nous aurons l'occasion sans doute de reparler de ces vessies lors de l'illustration d'une autre image !

Collection Privée (Hugues Deghorain)
Souvenir du Carnaval de Binche - Les Binchois
Edition Raoul Winance-Laurent
La carte postale ci-dessus a sans doute été éditée autour de 1920. Elle le fut par l'imprimeur Raoul Winance-Laurent qui était établi sur la Grand’Place, au coin de la rue Saint-Jacques; à l’endroit-même de l’ancien café du Manneken-Pis, devenu depuis le Diapason. Cet imprimerie a existé sous la direction de Raoul Winance de 1912 à 1924. Elle vous montre un groupe de Binchois posant pour la postérité. On y voit quelques accoutrements carnavalesques incluant des loups. C'est le cas des trois jeunes filles avec un chapeau et une tenue civile, sur la droite de la carte postale. Vous y voyez également des étudiants portant la penne et la cravate… sans faux-nez cette fois-ci.

Je vous retranscris ici le passage du texte dont il est question. L'auteur, dans ce livre, voyage à travers le Pays Wallon pour nous conter le pittoresque de la région. Pour ce qui concerne le chapitre relatif à Binche, il s'agit, au-delà de la description d'un Binche prospère aux activités très tournées vers le commerce, d'une comparaison avec la "pauvre" voisine, Fontaine-l'Evêque, dont est originaire l’auteur. En effet, Louis Delattre y est né le 24 juin 1879.

GILLES ET PANSES BRÛLÉES


Mons passé, dont les rares eaux s'écoulent vers l'Escaut, si l'on veut gagner la Sambre, cliente de la Meuse, et atteindre l'épine du dos de la Belgique qui sépare les eaux des deux fleuves, il faut traverser les terres blanches de craies qui forment les champs d'Obourg au tabac sans second, les vastes emblavures des Estinnes et des Vellereilles. Nous sommes à la borne qui sépare les deux races du Hainaut. 
D'un côté c'est Binche la Picarde, ancienne terre du comté; de l'autre Fontaine-l'Évêque la wallone, extrême dépendance du pays de Liège. 
Tandis que dans la jolie villette des Gilles, riche et mercantile, replète et audacieuse au gain, apparaissent encore les expressions d'une prospérité jadis toute agricole et les restes d'une morgue de censiers; dans la maigrette Fontaine où la roche affleure et où retentit le besogneux marteau du cloutier, nous touchons à la porte d'une Wallonie plus spirituelle et plus pauvre. 
Binche a un beffroi, une gare somptueuse, des musiciens autant que d'habitants. Au quinzième jour de chaque mois, les rues s'y emplissent de chevaux pour une foire célèbre. Le reste du temps, un commerce de vêtements attire à ses boutiques de traînaillantes trôlées de chalands campagnards. 
Mais une fois par an, le jour du Mardi-Gras, tous soucis d’intérêt sont oubliés à Binche. Dans le bariolage des plus brillants et riches costumes, sous le carton colorié des masques et des faux-nez, secouée par une musique endiablée, assourdie par la frénésie des grelots, une foule immense venue de tous les coins du pays, emplit la villette. C’est le jour de la joie. Coiffés de hautes plumes multicolores, chaussés de sabots, le panier d’oranges à la main, les Gilles arrêtent la vie coutumière d’efforts et de travail. Ils forcent à l’éclat les plus brumeuses cervelles des artisans du canton le plus besognant du monde. A leurs appels, l’aile de la fantaisie et du caprice vient effacer les rides de ces fronts ahuris par les mois et les mois de hurlantes mécaniques. Et ainsi, par douze heures ininterrompues de dans et de chants, le Wallon le plus alourdi de richesse et de fatigue, atteste, lui aussi, encore, la légèreté de son coeur et sa faculté de plaisir! 
A Fontaine, rien qu’une jolie petite église d’un ogival pur; un château de bon effet dans son parc emmuré; de tumultueuses clouteries mécaniques qui ont remplacé les amusantes forges tout étroites ou l’homme noir, la « panse brûlée » comme on le surnommait pour son tablier de cuir roussi, criait des gaillardises aux passants de la rue, en tirant le soufflet de son foyer. Pour se consoler à sa guise moqueuse, de la prospérité de sa voisine picarde, Fontaine, au coin d’une rue n’avait-elle pas juché un singe de fer, montrant, d’un geste de la dernière indécence, le chemin qui mène à Binche? Un mot drôle, une hasarde narquoise consolent un Fontainois de tous les malheurs! 
Pour ceux qui serait intrigués par la référence à un singe pointant son doigt vers Binche pour se moquer de cette ville florissante et ainsi se consoler de la pauvreté vécue à Fontaine : il s'agissait d'une statue de singe placée sur le mur d'un café. Il était situé au coin d'une rue disparue reliant, à l'époque, le Boulevard du Nord à l'ancienne rue de Binche (aujourd'hui appelée rue Jules Despy). Le café a été rasé avec la suppression de la rue. Le singe n'a pas survécu et a disparu lui-aussi.

Sources